Gestion des déficits et intégration fiscale en France : indemnisation des filiales sortantes

Apr 14, 2025Par Afiz SOULE

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L'intégration fiscale régie par les articles 223 A et suivants du Code général des impôt, est un régime permettant à un groupe de sociétés de consolider leurs résultats fiscaux pour optimiser leur imposition. Ce régime présente plusieurs avantages, notamment la compensation des bénéfices et des déficits au sein du groupe. Toutefois, il implique également des contraintes. Ce régime peut entraîner des conséquences fiscales importantes pour les filiales sortantes, notamment la perte du droit au report des déficits. Cette perte de droit peut avoir des conséquences significatives sur la charge fiscale, la rentabilité, la valorisation, les prévisions financières et la stabilité fiscale des entreprises. Ce droit devient alors important pour les investisseurs qui espèrent souvent rachété une société avec ses déficits. La perte de ce droit peut rendre frileux les investisseurs lors du rachat d'une société appartenant à une intégration fiscale, comme elle peut toutefois attiré les investisseurs lorsque ce droit est compensé par une indemnisation. 

Cet article explore les principes de gestion des déficits dans le cadre de l'intégration fiscale et les modalités d'indemnisation des filiales sortantes pour compenser la perte du droit au report des déficits. 

Comprendre la gestion des déficits fiscaux

La gestion des déficits fiscaux est un sujet crucial pour les entreprises cherchant à optimiser leur fiscalité en France. Les déficits fiscaux peuvent survenir lorsque les dépenses d'une entreprise dépassent ses revenus, entraînant une perte nette. Cette situation peut avoir des répercussions significatives sur la trésorerie et la stratégie fiscale d'une entreprise.

Il est essentiel pour les entreprises de savoir comment gérer ces déficits de manière efficace. Les lois fiscales françaises offrent plusieurs mécanismes pour compenser ces pertes avec les bénéfices futurs, permettant ainsi aux entreprises de réduire leur charge fiscale globale.

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Les mécanismes de report des déficits

En France, le système fiscal permet aux entreprises de reporter leurs déficits. Deux principales méthodes sont disponibles : le report en avant et le report en arrière.

a-Le report en avant

Le report en avant consiste à imputer un déficit sur les bénéfices futurs. Cela signifie que lorsque l'entreprise génère à nouveau des bénéfices, elle peut réduire sa charge fiscale en utilisant les pertes antérieures. Cette méthode est souvent préférée car elle permet une gestion proactive des flux de trésorerie.

b-Le report en arrière

Le report en arrière, bien que moins courant, permet à une entreprise de compenser un déficit avec des bénéfices réalisés au cours des trois années précédentes. Cela peut entraîner un remboursement d'impôt pour l'entreprise, offrant ainsi une solution immédiate pour améliorer la liquidité. L'option du report en arrière doit être activée de manière expresse par l'entreprise. L'intérêt de cette action est de créer une créance sur l'administration fiscale, permettant à l'entreprise de récupérer des impôts déjà payés. 

Conséquences fiscales pour les filiales sortantes

Lorsqu'une filiale quitte le groupe intégré, elle perd le droit au report des déficits accumulés pendant la période d'intégration car la majorité des déficits apparus lors de l'intégration reste avec la société mère pour la période d'intégration concerné. Cette perte peut entraîner des surcoûts fiscaux significatifs pour la filiale sortante et peut rendre réticent les investisseurs lors d'une cession, d'un rachat ou d'une opération de fusion acquisition. 

Pourquoi le droit de report des déficits est important pour les investisseurs ?

  • Les déficits reportables permettent aux entreprises de réduire leur base imposable future, ce qui diminue leur charge fiscale. La perte de ce droit signifie que les entreprises ne peuvent plus bénéficier de cette réduction, augmentant ainsi leur impôt futur.
  • La capacité à reporter les déficits améliore la rentabilité nette des entreprises en réduisant les impôts futurs. Sans cette possibilité, les entreprises peuvent voir leur rentabilité diminuer, ce qui peut affecter leur attractivité pour les investisseurs.
  • Les déficits reportables sont souvent considérés comme des actifs fiscaux dans les bilans des entreprises. La perte de ce droit peut réduire la valeur comptable de l'entreprise, impactant ainsi sa valorisation globale.
  • Les investisseurs utilisent les prévisions financières pour évaluer la performance future des entreprises. La perte du droit au report des déficits peut rendre ces prévisions moins favorables, influençant les décisions d'investissement.
  • Les investisseurs voient souvent un potentiel de redressement dans les entreprises en déficit. Avec une gestion efficace, ils peuvent transformer ces entreprises et réaliser des gains significatifs en utilisant les déficits pour réduire les impôts pendant la période de redressement.
  • La possibilité de reporter les déficits offre une certaine stabilité fiscale aux entreprises, leur permettant de mieux gérer les fluctuations de leurs résultats. La perte de ce droit peut introduire une incertitude fiscale, ce qui est généralement perçu négativement par les investisseurs.
  • Dans le cadre de stratégies de consolidation, les investisseurs peuvent intégrer les entreprises déficitaires dans des groupes plus larges, utilisant les déficits pour optimiser la fiscalité du groupe entier.

On comprends donc à travers les points ci-dessus que les déficits offrent des opportunités fiscales et financières qui peuvent rendre l'acquisition d'entreprises en déficit particulièrement attractive pour les investisseurs. 

Une problématique majeur nous revient : comment préserver le droit au report des déficits lors d'une sortie des filiales appartenant à une intégration fiscale ? La jurisprudence fiscale a admis le principe d'indemnisation des filiales pour compenser cette perte.

Jurisprudence sur l'indemnisation des filiales sortantes


La jurisprudence fiscale a évolué pour reconnaître le droit des filiales sortantes à une indemnisation. Deux arrêts importants illustrent ce principe :

L'arrêt du 11 décembre 2009 (Sté GE Healthcare Clinical Systems) et l'arrêt du 24 novembre 2010 (Sté Saga). Pour faire simple, lors du premier arrêt, le Conseil d'Etat a jugé que la filiale sortante peut être indemnisée pour les sucoûts fiscaux liés à la perte du droit au report des déficits. Lors du deuxième arrêt, le Conseil d'Etat a jugé que la convention d'intégraton fiscale peut prévoir une clause d'indemnisation en cas de sortie du groupe. 

Le législateur retient également que l’indemnité versée à une filiale sortante n’est pas constitutive d’une subvention si elle vient compenser le préjudice qu’elle a effectivement subi du fait de l’attribution au groupe de ses déficits pendant sa période d’appartenance au groupe. Dès lors, le conseil d'Etat a jugé que l'indemnisation versée lors de la sortie d'une filiale n'est pas imposable.

Toutefois pour de meilleures précautions contractuelles et afin d'éviter les litiges, il est recommandé d'inclure des clauses spécifiques dans les conventions d'intégration fiscale comme par exmple une clause de "rendez-vous" qui permet de prévoir une discussion sur les conséquences fiscales et une éventuelle indemnisation en cas de sortie du groupe pour une filiale. Il est également recommandé d'établir une convention de sortie qui permet de fixer les modalités d'indemnisation ou justifier l'absence d'indemnisation dans une convention de sortie.

Cette reconnaissance de la jurisprudence offre une protection aux filiales sortantes, leur permettant de compenser les pertes fiscales subies lors de leur sortie du groupe intégré. 

Optimiser sa stratégie fiscale

La gestion des déficits et l'intégration fiscale sont deux pierres angulaires de la stratégie fiscale pour les entreprises opérant en France. En comprenant et en appliquant ces mécanismes, les entreprises peuvent non seulement réduire leur charge fiscale, mais aussi améliorer leur santé financière globale. Ainsi, les sociétés peuvent utiliser ce mécanisme d'indemnisation dans leur stratégie fiscale de plusieurs manières, à savoir : 

une négociation des conventions d'intégration fiscale :

Inclure des clauses d'indemnisation dans les conventions d'intégration fiscale pour prévoir les modalités de compensation en cas de sortie d'une filiale et prévoir des clauses de "rendez-vous" pour discuter des conséquences fiscales et des éventuelles indemnités.


Une gestion proactive des déficits :

Evaluer régulièrement les déficits reportables et leur impact potentiel sur la fiscalité du groupe. Utiliser également les déficits de manière stratégique pour optimiser la charge fiscale globale du groupe.

Une planification des sorties de filiales :

Planifier les sorties de filiales en tenant compte des implications fiscales et des possibilités d'indemnisation et surtout négocier des conventions de sortie qui fixent clairement les modalités d'indemnisation ou justifient l'absence d'indemnisation.

En résumé, la jurisprudence sur l'indemnisation des filiales sortantes a apporté une sécurité juridique et des opportunités stratégiques pour les groupes de sociétés. En intégrant ces mécanismes dans leur stratégie fiscale, les entreprises peuvent mieux gérer leurs déficits et optimiser leur charge fiscale.