Investir à l’étranger : les mécanismes fiscaux à connaître pour limiter la double imposition

Feb 20, 2025Par Afiz SOULE

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Investir à travers les frontières soulève de nombreuses problématiques fiscales, notamment la double imposition des revenus perçus à l’étranger. Dans un contexte de globalisation économique, il est impératif pour les investisseurs d’anticiper les conséquences fiscales de leurs placements internationaux. Plusieurs mécanismes permettent de limiter la double imposition et d’optimiser la fiscalité des investissements transfrontaliers.

1. Le principe de la double imposition internationale

La double imposition se produit lorsqu’un même revenu est imposé dans deux États distincts. Cette situation découle de la coexistence de deux principes fiscaux :

  • Le principe de la résidence, selon lequel un État impose les revenus mondiaux de ses résidents fiscaux.
  • Le principe de la source, où un État impose les revenus générés sur son territoire, indépendamment de la résidence fiscale du bénéficiaire.

En l’absence de mesures correctrices, un investisseur pourrait être imposé deux fois sur le même revenu, ce qui compromettrait la rentabilité de ses investissements. Afin d'éviter cette double imposition, les conventions fiscales ont vu le jour.

2. Les conventions fiscales internationales

Les conventions fiscales bilatérales, souvent basées sur le Modèle OCDE, visent à éviter la double imposition en attribuant le pouvoir d’imposition à un seul État ou en instaurant des mécanismes de crédit ou d’exonération. Deux approches sont couramment utilisées :

  • Méthode de l'exonération : Le pays de résidence du contribuable renonce à imposer les revenus déjà imposés dans l'autre pays. Par exemple, un résident français percevant des revenus locatifs aux États-Unis peut être exonéré d'impôt en France sur ces revenus, sous réserve qu'ils soient imposés aux États-Unis.
  • Méthode de l'imputation ou le crédit d'impôt : Le pays de résidence accorde un crédit d'impôt égal à l'impôt payé dans l'autre pays. Par exemple, si un résident français a payé des impôts sur un dividende en Allemagne, il peut déduire cet impôt de ses obligations fiscales en France

Ces conventions prévoient également des taux réduits de retenue à la source sur les dividendes, intérêts et redevances, ce qui améliore l’attractivité des investissements.

Toutefois, la détermination de la résidence fiscale reste importante dans le processus pour éviter les conflits de domiciliation. A cela, les conventions fiscales internationales définissent également les critères de résidence fiscale. Ces critères incluent :

  • Le domicile permanent : Le lieu où le contribuable a une habitation permanente.
  • Le centre des intérêts vitaux : Le lieu où le contribuable a ses liens personnels et économiques les plus étroits.
  • Le séjour habituel : Le pays où le contribuable séjourne habituellement

Par ailleurs, ces conventions prévoient des mécanismes d'échange d'informations entre les administrations fiscales des pays signataires. Cet échange d'informations vise à prévenir l'évasion fiscale et à garantir la transparence fiscale. Les informations échangées peuvent inclure des données sur les revenus, les comptes bancaires et les transactions financières

3. Les dispositifs nationaux de limitation de la double imposition

Outre les conventions fiscales bilatérales, plusieurs pays mettent en place des dispositifs internes pour atténuer la double imposition. Voici deux exemples notables : le régime des sociétés mères et filiales en Europe et les dispositifs de déduction pour impôt payé à l’étranger.

Le Régime des sociétés mères et filiales en europe
Le régime des sociétés mères et filiales, souvent appelé "directive mères-filiales", est un dispositif fiscal européen visant à éliminer la double imposition des dividendes et autres bénéfices distribués entre sociétés d'un même groupe situées dans différents États membres de l'Union européenne.

Ce régime permet d'exonérer de retenue à la source les dividendes versés par une filiale à sa société mère, et d'éliminer la double imposition de ces revenus au niveau de la société mère. Pour s'appliquer, il faut que : 

  • La société mère détienne au moins 10 % du capital de la filiale.
  • Les deux sociétés doivent être assujetties à l'impôt sur les sociétés sans possibilité d'exemption.
  • Les sociétés doivent être établies fiscalement dans différents pays.

    Les dividendes versés par la filiale à la société mère sont exonérés de retenue à la source dans le pays de la filiale. Les bénéfices perçus par la société mère ne sont pas imposés une seconde fois, ou bien la société mère peut déduire l'impôt payé par la filiale de son propre impôt.

    Les dispositifs de déduction pour impôt Payé à l’étranger
    Les dispositifs de déduction pour impôt payé à l’étranger permettent aux contribuables de réduire leur impôt national en tenant compte des impôts déjà payés à l'étranger. Ces dispositifs sont particulièrement utiles pour les résidents fiscaux qui perçoivent des revenus de source étrangère. Les méthodes de déductions peuvent se faire en deux volets à savoir :
  • Le crédit d'impôt égal à l'impôt étranger : Le montant de l'impôt payé à l'étranger est déduit de l'impôt national dû. Par exemple, si un résident français a payé des impôts sur des revenus perçus aux États-Unis, il peut déduire cet impôt de son impôt sur le revenu en France.
  • Le crédit d'impôt égal à l'impôt national : Le crédit d'impôt est égal à l'impôt français qui aurait été dû sur les revenus étrangers. Cela permet de neutraliser l'effet de la double imposition sans dépasser le montant de l'impôt national

    Ainsi, comme exemples de revenus concernés, l'on a : les revenus fonciers, les dividendes, les intérêts, les salaires et pensions.

4. Les structures d’investissement et la planification fiscale

Le choix de la structure juridique et du pays d’implantation est crucial pour optimiser la gestion fiscale des investissements internationaux. Voici un aperçu des principales stratégies utilisées pour éviter la double imposition et maximiser les avantages fiscaux.

Holdings dans des juridictions fiscalement avantageuses

Les holdings, ou sociétés de portefeuille, sont souvent implantées dans des juridictions offrant des conditions fiscales avantageuses pour optimiser la remontée des dividendes. Ces juridictions, telles que le Luxembourg, les Pays-Bas ou l'Irlande, proposent des régimes fiscaux favorables qui permettent de réduire la charge fiscale sur les dividendes reçus et redistribués. Les avantages sont entre autre : 

  • Exonération de retenue à la source : Dans certaines juridictions, les dividendes reçus par la holding peuvent être exonérés de retenue à la source, ce qui réduit la double imposition.
  • Crédit d'impôt : Les impôts payés à l'étranger peuvent être crédités contre l'impôt dû dans le pays de la holding, réduisant ainsi la charge fiscale globale


Exemple : Au Luxembourg le régime fiscal des sociétés mères et filiales permet l'exonération des dividendes reçus par une société mère luxembourgeoise de ses filiales étrangères, sous certaines conditions.

Conventions de non-double imposition et sociétés intermédiaires
Les conventions fiscales bilatérales jouent un rôle clé dans la réduction de la double imposition. En interposant des sociétés intermédiaires dans des pays ayant des conventions fiscales favorables, les entreprises peuvent maximiser les avantages de ces accords. Concrètement, il s'agit de créer des filiales dans des pays ayant des conventions fiscales avantageuses pour bénéficier de taux réduits de retenue à la source sur les dividendes, intérêts et redevances. S'en suivra l'utilisation de sociétés de conduit ou sociétés relais, qui servent de canaux pour les flux financiers, permettant de bénéficier des avantages des conventions fiscales sans imposition supplémentaire.


Exemple : au Pays-Bas, grâce à son vaste réseau de conventions fiscales, les entreprises peuvent utiliser des sociétés néerlandaises pour réduire les retenues à la source sur les paiements transfrontaliers.

Utilisation de régimes fiscaux privilégiés
Les régimes fiscaux privilégiés, tels que les zones franches et les régimes d'incitation à l'investissement, offrent des avantages fiscaux significatifs pour attirer les investissements étrangers. Ces régimes peuvent inclure des exonérations d'impôt sur les bénéfices pendant une période déterminée, des taux réduits d'imposition et d'autres incitations fiscales.


Exemple : La zones franches aux Émirats Arabes Unis. Les entreprises établies dans les zones franches bénéficient d'exonérations fiscales sur les bénéfices et les dividendes, ainsi que d'autres avantages fiscaux


5. Conformité aux principes de substance économique et de réalité des opérations


Pour éviter les requalifications par les administrations fiscales, il est essentiel que les structures d'investissement respectent les principes de substance économique et de réalité des opérations. Cela signifie que les entreprises doivent démontrer que leurs structures ont une véritable activité économique et ne sont pas simplement des montages fiscaux artificiels. A cela, elles doivent remplir des critères de substance économique tels que :

  • Présence physique : Avoir des bureaux, des employés et des activités réelles dans la juridiction concernée.
  • Activité économique réelle : Les opérations doivent refléter une véritable activité économique et non simplement des transactions fiscales.

6. L’évolution de la fiscalité internationale et les défis à anticiper

Les réformes fiscales internationales, notamment le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de l’OCDE et l’instauration d’un impôt minimum mondial, compliquent les stratégies d’optimisation fiscale. L’échange automatique d’informations et les nouvelles obligations de déclaration limitent les opportunités d’évitement fiscal.

Projet BEPS et impôt minimum mondial
Le projet BEPS de l'OCDE, lancé en 2013, vise à lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. Il comprend 15 actions clés pour réformer la fiscalité internationale et garantir que les bénéfices sont imposés là où les activités économiques sont réalisées. Parmi ces actions, l'instauration d'un impôt minimum mondial de 15 % est particulièrement significative. Ce taux d'imposition minimum vise à réduire les incitations à transférer les bénéfices vers des juridictions à faible imposition et à augmenter les recettes fiscales mondiales.

Piliers 1 et 2 de l'OCDE
Les Piliers 1 et 2 de l'OCDE, introduits dans le cadre du projet BEPS 2.0, représentent des réformes majeures pour la fiscalité internationale :

Pilier 1 : Ce pilier vise à réattribuer une partie des droits d'imposition des plus grandes et des plus rentables multinationales des pays où elles réalisent leurs bénéfices vers les pays où elles vendent leurs produits et services. Cela permet de mieux aligner les droits d'imposition avec la création de valeur économique.
Pilier 2 : Ce pilier introduit un impôt minimum mondial de 15 % sur les bénéfices des multinationales, basé sur la résidence de la société. L'objectif est de garantir que les multinationales paient un taux d'imposition minimum, quel que soit l'endroit où elles opèrent, réduisant ainsi les incitations à transférer les bénéfices vers des juridictions à faible imposition.

Échange automatique d’informations et obligations de déclaration
L'échange automatique d'informations (EAR) entre les administrations fiscales des pays signataires est un autre pilier des réformes fiscales internationales. Ce mécanisme oblige les institutions financières à collecter et à échanger des informations sur les comptes financiers détenus par des non-résidents. En parallèle, les nouvelles obligations de déclaration, telles que le reporting pays par pays, imposent aux multinationales de fournir des informations détaillées sur la répartition mondiale de leurs bénéfices, impôts et activités.

Stratégies transparentes et conformité aux normes internationales
Face à ces nouvelles règles, les investisseurs doivent privilégier des stratégies fiscales transparentes et conformes aux normes internationales. Cela inclut la documentation rigoureuse des prix de transfert, la justification des politiques fiscales et la conformité aux obligations déclaratives. Les entreprises doivent également s'assurer que leurs structures d'investissement respectent les principes de substance économique et de réalité des opérations pour éviter les requalifications par les administrations fiscales.

Gestion des risques fiscaux
La gestion des risques fiscaux devient aussi importante que l’optimisation elle-même. Les entreprises doivent mettre en place des processus robustes pour identifier, évaluer et gérer les risques fiscaux. Cela inclut la surveillance des évolutions réglementaires, la formation continue des équipes fiscales et la collaboration avec des experts en fiscalité internationale. La transparence fiscale et la responsabilité sociale deviennent des enjeux stratégiques pour les entreprises, influençant leur réputation et leur compétitivité sur le marché mondial.

Conclusion

Investir à l’étranger implique une analyse approfondie des mécanismes fiscaux pour limiter la double imposition. La combinaison des conventions fiscales, des dispositifs nationaux et des structures adaptées permet d’optimiser la fiscalité des investissements internationaux. Toutefois, face à l’évolution constante des règles fiscales, une veille permanente et un accompagnement juridique spécialisé sont indispensables pour sécuriser les investissements et garantir leur rentabilité.